Quelques mots qui claquent pour attirer l’œil, un message racoleur qui donne envie d’aller plus loin…
Les titres putaclic, notre cerveau adore.
Raison pour laquelle les scientifiques sont parfois tentés d’embellir un chouïa leur trouvaille, en présentant leur article d’une manière qui vous donne immédiatement envie de le dévorer tout entier.
Un titre qui se suffirait à lui-même pour que l’info principale puisse être comprise au premier coup d’œil, appropriée dans l’instant et distribuée aussi sec.
Exemple avec cet article de Schmitt et al. (2020) : “La douleur à la palpation prédit le délai de retour au sport pour les blessures aux ischio-jambiers”.
Quel kiné du sport ne serait pas excité comme un gamin à Noël en lisant un titre pareil ? Au risque de tomber sur le cadeau moisi de Tata Simone, je te propose de décortiquer ensemble ce beau petit papier.
Perso, un petit frisson a parcouru mon échine dorsale à la lecture de ce titre.
Et s’il suffisait de palper ?
Malheureusement, je ne crois plus au Père Noël depuis le 24 décembre 1995, lorsque j’ai entendu le daron disposer les cadeaux sous le sapin. Ce soir-là, mi-excité mi-intrigué, j’ai décidé qu’il fallait que j’aille vérifier pour en avoir le cœur net.
Une tarte dans la tronche plus tard, je savais.
Et bien là, j’ai fait pareil : j’ai pris mon courage, mon ordi et mon VPN pour Sci-Hub, et je suis allé vérifier cette information.
D’entrée, je n’ai pas été déçu…
L’étude sur la palpation
Conception de l’étude : série de cas. Population : 19 individus. Wow ! Tous des hommes, bon… Mais sportifs, quand même. Et tous se sont blessés à l’ischio-jambier. Jusque-là, ça peut encore aller.
Mais les auteurs précisent tout de même que 3 blessures sur les 19 ne se sont pas passées lors de la pratique d’un sport.
Cherche pas : certaines pratiques peuvent être très contraignantes pour les ischios, tu demanderas à ta mère… ou pas.
Bref, les patients ont été recrutés dans une clinique où ils se présentaient spontanément après leur blessure. Et c’est là que le bât blesse et que la barbe de l’imposteur semble fausse : les auteurs, pris par la générosité de l’esprit de Noël (ou n’ayant pas suffisamment de monde pour leur étude, c’est selon les croyances), ont invité tous ceux qui voyaient de la lumière à rejoindre le protocole.
Du coup, on se retrouve avec des sportifs blessés qui ont été évalués pour la première fois en moyenne 6 jours après leur traumatisme et avec un écart-type lui aussi de 6 jours… Mais certains ont attendu pas 7, pas 8, pas 9, pas 10 (coucou, Jeff Tuche)… mais 25 jours ! Autant dire que leurs situations sont très, très peu comparables.
Pour autant, leur blessure a été évaluée et cartographiée. Et l’idée était bonne : la douleur à la palpation a été ciblée, puis mesurée en largeur et en longueur. Ces mesures ont ensuite été comparées aux largeur et longueur de la face postérieure de la cuisse, pour donner un pourcentage de zone douloureuse.
Seul hic, et de taille, les auteurs n’ont pas trouvé nécessaire de mesurer la fiabilité de la méthode de palpation. C’est con, c’était le plus important !
Pour tout dire, j’ai failli plier les gaules à ce moment-là. Mais bon, comme lors du dîner du réveillon avec Tonton tenant des propos qui feraient passer Valeurs Actuelles pour un journal de gauche, tu fais comme si de rien n’était pour ne pas créer d’histoire.
Évaluation et palpation des sujets de l’étude
Après cette première cartographie, les 19 gaillards ont tous suivi la même rééducation basée principalement sur le gain de force puis ont été réexaminés au cours des différentes étapes.
A première vue, les résultats sont intéressants : tous ont repris le sport à leur niveau initial, et la longueur de la zone douloureuse était corrélée au temps de retour au sport de manière significative (contrairement à la largeur, et la surface totale).
Mais la première vue, c’est également celle qui te permet de distinguer le gentil Papa Noël dans la rue sans voir son nez bizarrement rougeâtre et son haleine étrangement vinifiée.
Si on gratte un tout petit peu et qu’on jette un coup d’œil aux délais de retour au sport, il y a en effet de quoi prendre froid. D’abord, la moyenne est de… 43 jours. J’espère qu’ils n’étaient pas pressés, et qu’ils n’avaient pas un staff sur le dos pour leur mettre la pression.
Ensuite, l’écart-type est de… 36 jours, presque autant que la moyenne elle-même. Ce n’est plus une fourchette, là, c’est un râteau !
Enfin, cerise sur la bûche déjà bien fondue, les plus rapides ont repris 4 jours après l’évaluation initiale et les plus lents ont mis … 17 semaines. Ils hibernaient, ou quoi ?
Malgré ces hétérogénéités pourtant inquiétantes, les auteurs affirment que la longueur de la zone douloureuse était très prédictive du délai de retour au sport. En allant jusqu’à donner des exemples d’une précision chirurgicale, en guise de cadeaux un poil survendus.
Ainsi, une longueur de zone douloureuse égale à 10% de la longueur totale de la cuisse correspondrait à un retour au jeu en 17 jours. Pour 20%, c’est 63 jours. Pas plus, pas moins.
Les auteurs ont décidé des délais, leur sentence est irrévocable.
Conclusion de l’étude sur la palpation
Pas peu fiers de leurs trouvailles, ils ne se sont pas arrêtés là et ont conclu que “les résultats de l’étude démontrent que l’utilisation de cette technique de palpation et de cartographie des ischio-jambiers fournit un pronostic dans une durée acceptable après une blessure des ischio-jambiers pour en faire un outil de prédiction cliniquement utile”.
“Technique de palpation” pas démontrée comme fiable, “durée acceptable” alors que longue comme un jour sans pain, “outil de prédiction” comme si les kinés étaient subitement devenus des mediums… le repas a été trop long, on a tous un peu trop picolés, on est au bord de l’indigestion : je crois qu’il est temps de rentrer.
Évidemment, quand tu te rends compte que le petit Papa Noël n’existe pas ou que ta meuf te trompe avec ton meilleur pote, tu es légèrement déçu et tu as envie de cogner tout ce qui bouge.
Mais au fond, tu sais que c’est une mauvaise idée.
Ne tombons pas dans ce piège avec ce papier, tout n’est pas à jeter et l’idée initiale était très intéressante. Nous nous servons tous de la palpation pour évaluer une blessure, à bon escient ou non.
A quel point cela est utile, au juste ? Pour les ischios, tu peux garder en tête que la longueur de la douleur initiale est importante et signe de gravité, plus que la largeur ou la surface totale de la zone douloureuse.
Les auteurs expliquent cela par le fait que la perturbation tissulaire suit la direction des fibres, qui est proximo-distale.
OK, et après ? Et bien, c’est à peu près tout… Mais c’est déjà pas mal !
Conclusion
Enfin, pas de quoi sortir les bulles pour fêter le sacrement de la palpation qui a longtemps occupé le Top 1 au hit parade dans le cœur des kinés.
Car la méthode, la population et les résultats ne permettent pas de (re)mettre la palpation si haut placée dans la panoplie de tests dont dispose le professionnel de santé pour juger de la gravité d’une blessure musculaire.
Elle est soumise à trop de biais pour être fiable, comme démontré maintenant par beaucoup d’auteurs.
Prenons soin de ne pas nous arrêter au titre ou à la conclusion d’une étude, continuons d’affiner notre esprit critique. Parce que sinon, pour finir sur une note de subtilité, il n’y aura pas que la dinde qui sera fourrée…
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