Salut mon petit pote !
Redondant, lassant, voire insupportable.
Comme d’habitude, tu as aujourd’hui droit au patient qui se plaint de douleurs de dos et qui connaît la source du problème.
“J’ai passé une IRM, j’ai une hernie discale”, assure-t-il.
Si ce n’est un patient au cabinet, c’est donc ton frère. Ou ton/ta père / mère / frère / oncle / tante / voisin du cousin / mec inconnu que tu croises 2 minutes au bar, qui te raconte tous ses antécédents médicaux et qui te demande ce que tu en penses.
Fut un temps, un kiné lambda lui aurait volontiers répondu : “Et bien c’est très simple, va te faire opérer cher ami !”.
Ce temps est évidemment révolu, et ce conseil pourrait même presque tourner à la moquerie quand on repense aujourd’hui à ce genre de méthode employée pour les hernies discales.
Pourtant, quelle est ta répartie quand ces mêmes protagonistes (dont le mec au bar qui te gonfle avec son histoire parce que tu étais venu pour couper un peu du taf, justement, et que ta bière est en train de perdre toutes ses bulles) te demandent ton avis après une rupture du ligament croisé ?
Pareil, l’option “Et bien c’est très simple, va te faire opérer frérot !”.
Et si ce n’était pas si simple que ça ?
Faut-il se faire opérer après une rupture du ligament croisé antérieur ?
Quand on regarde ce qui se fait dans le sport de haut niveau, c’est pourtant limpide comme de l’eau de roche : que ce soit Thibaut Courtois au football (qui a dû avoir le seum), Romain Ntamack au rugby (là, c’est nous qui avons grave le seum) ou Manon Deketer au judo, le rendez-vous chez le chirurgien était pris dès le diagnostic posé.
Alors, pourquoi serait-ce différent avec ce type qui tourne plus à la Kro’ qu’à la Cristaline et pourquoi devrait-il attendre ? Lui aussi aimerait bien retourner sur le champ de patate qui lui sert de terrain pour taper dans le ballon dans 6 mois !
Chez les pros, la question ne se pose pas : on opère quasiment en systématique, et tout de suite. Les rares exceptions qui ont refusé de se faire opérer ont subi de lourdes pressions et cela a même parfois freiné leur carrière, comme l’expliquait Anthony Réveillère (ancien défenseur de l’Olympique lyonnais et de la France, qui en plus des croisés, s’est aussi fait briser les reins par un passement de jambes d’Alessandro Mancini) dans le quotidien L’Equipe.
Les patients “lambda”, eux, doivent souvent attendre et parfois même commencer leur rééducation avant la “vraie” rééducation (t’inquiète, on reviendra dans un autre article sur l’intérêt de la rééduc’ pré-opération).
Maintenant, on commence même à leur conseiller de ne pas se faire opérer !
Pourquoi cette scandaleuse médecine à 2 vitesses, Messieurs-Dames les décideurs ?
Complot, corruption, machinerie venant des reptiliens ?
Non, rien de tout ça : en fait, les preuves de supériorité de l’opération de reconstruction du ligament croisé par rapport à la simple rééducation sont aussi peu nombreuses que ceux qui se désignent Sam en soirée étudiante…
Que dit la science au sujet de la chirurgie du ligament croisé antérieur ?
Une revue de littérature de 2022 a recensé les études comparant les 2 stratégies, c’est-à-dire chirurgie immédiate Versus rééducation (avec chirurgie facultative).
Les programmes de rééducation étaient basés sur les guidleines récentes, comprenant des exercices actifs adaptés et progressifs dans une démarche Evidence Based Practice.
Les résultats étaient recensés à court (moins d’1 an), moyen (entre 1 et 3 ans) et long terme (plus de 3 ans).
Les ruptures du LCA étant très nombreuses et très étudiées, tu pourrais penser que les études comparatives de bon niveau ne seraient pas difficiles à trouver. Et bien… pas du tout : seulement 3 études ont été menées pour comparer les 2 stratégies, regroupant tout de même 320 participants d’un âge moyen de 29 ans et demi.
Les résultats des études sur la chirurgie du ligament croisé antérieur
Et le forest plot fait peine à voir, le losange restant figé sur la ligne centrale avec aucune différence significative.
Les seules tendances qu’on peut observer sont à prendre avec des pincettes, tellement la taille de l’effet est petite et les qualités de preuve médiocres.
Même les platistes disposent de plus d’arguments à disposition, c’est dire.
Mais puisque je te sens aussi septique que mes darons quand je leur disais que je serai au lit à minuit, rentrons dans le détail :
- pour la fonction du genou (auto-déclarée), pas de différence ;
- pour les tests fonctionnels, que dalle ;
- pour la stabilité, que tchi ;
- pour le niveau de participation au sport, nada ;
- pour la qualité de vie, on a plus de synonyme mais toujours rien.
Attends, le plus fou est à suivre. Car on a longtemps pensé que sans ligament croisé, une micro-instabilité rotatoire allait créer une usure des ménisques à la longue et donc une arthrose prématurée.
L’instabilité du genou suite à la rupture du ligament croisé antérieur
Bah… Jean-Michel, accroche-toi bien au comptoir et écoute ce que dit ce papier : on ne retrouve pas plus de lésion ou de dégradation des ménisques sans chirurgie et ce, même 10 ans après.
Les risques d’arthrose suite à une rupture du ligament croisé antérieur
Concernant l’arthrose, idem : aucune différence à long terme entre les 2 méthodes ! Finis ta bière, sors le champagne… Enfin non, peut-être pas.
Pour nuancer ces bonnes nouvelles, notons tout de même une tendance à de meilleurs résultats méniscaux si on opère. Mais les preuves sont de très, très faible qualité.
Impossible également de statuer sur ce qui pourrait se passer 15, 20 ou 30 ans après pour ces genoux, ces blessures étant l’apanage des “jeunes” sportifs.
La force et les ruptures du ligament croisé antérieur non-opérées
Regrets éternels aussi concernant la force musculaire, que tout le monde a oublié et que personne n’a mesuré.
Faut-il se faire opérer suite à une rupture du ligament croisé antérieur ?
Qu’importe, la conclusion est claire : il n’y a aucune différence cliniquement pertinente et significative en faveur de l’une ou l’autre des méthodes, la chirurgie n’étant donc pas si évidente.
En réalité, tout dépend du contexte et l’histoire n’est pas la même pour tout le monde.
Conclusion
Si on connaît les effets de l’excès de bière sur le corps, on connaît aussi les effets de l’entraînement : les sportifs de haut niveau, les piliers de rugby par exemple, n’ont pas les mêmes capacités et compétences que les piliers de bar.
Ils n’auront donc pas les mêmes moyens physiques ou mentaux pour récupérer d’une chirurgie, ni pour se taper la fastidieuse rééducation qui va avec.
Surtout, les enjeux sont très différents. Le sportif professionnel vit de son sport. Pas de sport, pas de salaire. Pas de salaire, pas de palais. Et pas de palais, pas de palais (référence d’anciens, non ?).
Pour revenir au plus vite sur les terrains, ils sont donc prêts à prendre plus de risques.
Mais pour le gars du bar qui évolue avec la réserve de Montreuil en 3e division de District, qui ne s’entraîne quasiment jamais parce qu’“il n’en a pas besoin” et qui joue une mi-temps le week-end quand il n’est pas invité à manger chez les beaux-parents, est-ce que cela vaut vraiment le coup de passer sur le billard ?
Et pour sa mère qui va au ski une fois l’année s’il y a de la neige et si le chalet de famille est libre, est-ce qu’il est réellement préférable de se faire opérer ? Peut-être, peut-être pas.
En tout cas, cela vaut le coup d’être discuté. Car comme tout traitement, le processus de prise de décision se doit d’être partagé et centré sur le patient. En prenant en compte ses envies, ses besoins, ses projets, ses loisirs, son contexte professionnel, familial, personnel, et ses capacités physiques.
Bien sûr, les atteintes concomitantes (méniscales, ligamentaires, cartilagineuses) et les spécificités anatomiques rentreront en ligne de compte et seront établis par le chirurgien qui proposera au patient la meilleure solution.
Et tant pis si, le Doc’ n’ayant pas sorti son bistouri pour lui, ton nouveau pote accoudé sur le zinc termine son récit par la plus belle des excuses : “J’allais signer pro, et puis je me suis fait les croisés. On n’a pas voulu m’opérer, tu connais…”
Allez, a tato !
1 Comment
Hey merci pour cet article.
A chaud je dirai que je suis perplexe. Bien suuuuuuuuur! Moi-même opérée du LCA après un match de rubgy à mes 20 ans, je n’ai pas eu le choix.
Sans pour autant être dans qqconque circuits de compet à l’époque: entraineur, kiné 1, kiné2, kiné 3, chir m’ont vivement recommandé l’opération.
Un DT4 réalisé par un orfèvre. Le suivi post op s’est fait en centre de rééducation pdt un mois. et au bout de 6 mois je recourrais et remontais à cheval. Maintenant, c’est tjr délicat et peut-être faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que de se dire » bon, et si j’avais eu le choix j’aurais pas subi ca ». J’en sais rien, j’ai pas envie d’y penser d’ailleurs. Ce qui compte c’est que j’ai retrouvé très vite ma vie de gazelle.
En revanche, là où votre article me titille c’est par rapport à mon entourage. Les potes qui se blessent et reproduisent le même schéma que moi, donc ceux qui peuvent encore choisir (ca en fait un paquet donc).
Tfacon c’est simple : soit les ambitions appellent à une prise de risque indiscutable soit le gros « ouais flemme de faire tout ca » prend le dessus. Et oui, je vous rejoins tout à fait dans l’impératif de contextualisation de cette prise de décision.