Salut mon petit pote !
Tu as forcément vécu ce genre de moment : ton daron qui t’ordonne de mettre tes chaussons, ta tante qui te conseille de ne jamais te coucher avec les cheveux mouillés, ton instituteur qui t’interdit de courir dans la cour, ton prof de philo qui te demande de réciter des citations toutes faites… Et ton prof de l’IFMK qui te dit de ne surtout, surtout jamais déroger à la règle de non douleur.
Toutes ces règles cheloues, tu les a appliquées sans trop comprendre pourquoi. Mais maintenant que tu es majeur et vacciné, il est peut-être temps de remettre en cause ces vieilles injonctions, non ?
Faut-il éviter la douleur pour faire progresser les patients ?
Spoiler : attraper froid, ça n’existe pas.
Mais nous n’allons pas nous attarder sur cette vieille peau de Tati Nicole ni taper sur le paternel qui faisait ce qu’il pouvait, pov’ vieux. En revanche, se concentrer sur cette bonne vieille règle de la non douleur vaut sans doute le coup. Une règle que tu as entendue autant de fois que le morceau “Tout le bonheur du monde” de Sinsémilia aux mariages miteux de tes cousins.
Une vieille rengaine rythmant tous les cours de ta première, deuxième et troisième année (pour les ieuvs) dans ton institut de formation que tu chérissais à l’époque. Faut dire qu’à 6000 balles l’année, tu ne pouvais pas trop douter de ce qui y était enseigné ! Encore heureux que les mythes et idées reçues étaient balayés d’un revers de la main par tes savants de profs…
Et bien, pas si sûr.
Que dit la littérature au sujet de la rééducation avec et sans douleur ?
Une revue de littérature de 2017 a en effet recensé les études qui, au péril de la vie de leurs patients, ont tenté la rééducation avec douleur admise. Il y en avait 9, pour un total de 385 patients. Pas dingo, on est d’accord. Les malheureux étaient atteints de douleurs chroniques à l’épaule, aux lombaires, au tendon d’Achille ou encore à l’aponévrose plantaire. Leurs tortionnaires leur faisaient subir une rééducation de 8 à 12 semaines pendant laquelle la douleur était tolérée voire encouragée, sinon ordonnée. Pour ne pas se retrouver avec un procès sur le dos, le CNO ayant assez de boulot comme ça, l’échelle visuelle analogique était utilisée et le supplicié pouvait aller jusqu’à une douleur de 5/10. CINQ SUR DIX ! On n’est pas très loin de l’orteil dans le pied du lit, en termes de douleur perçue.
Les patients, à défaut d’avoir avoué quoi que ce soit d’intéressant (comme la planque de XDDL, par exemple), ont quasiment tous présenté les mêmes résultats que leurs homologues du groupe témoin. En d’autres termes, que ce soit pour les lombalgiques, les épaules ou les tendons, la rééducation avec la douleur pendant les exercices n’est pas dangereuse. Elle est même tout aussi efficace que sans, sinon plus ! A court terme, les patients étaient ainsi moins algiques, en l’étant plus pendant leurs séances (tu me suis ?).
L’étude de Holmgren et al. montre même que les patients atteints de douleur d’épaule et ayant suivi la rééducation avec douleur avaient 2,6 fois moins de chances de se faire opérer. Celle de Littlewood et al. (2015) va encore plus loin, les patients ayant une douleur diminuée par rapport au groupe contrôle, à court, moyen et long terme ! Pas suffisant, néanmoins, pour que le losange de la méta bascule à gauche.
“Oui mais ça, c’est pour les douloureux chroniques. Et moi, je n’en ai pas au cabinet”, répondront certains. Sans vouloir les qualifier de gros menteurs, la suite est pour eux.
Voyant que les résultats étaient encourageants, l’expérience a été renouvelée. Mais chez les patients atteints de lésions myo-aponévrotiques des ischio-jambiers toutes fraîches, cette fois. La douleur à atteindre était de 4/10, considérant que les auteurs demandant 5/10 n’étaient pas très gentils. Si les patients du groupe Contrôle ont repris le sport au même moment que ceux du groupe “douleur” en moyenne, ils étaient en revanche franchement à la bourre sur les autres paramètres. Concernant la force des ischios, le groupe Douleur leur met une amélioration de 15% dans les dents à 2 mois. Pour ce qui est des longueurs des fascicules, on observe également une amélioration significative. Quand on sait que ce sont deux des facteurs les plus importants dans le risque de récidive, ça vaut le coup de leur en faire baver pendant la rééducation, non ?
En résumé, non seulement la douleur n’est pas un frein dans la rééducation, mais elle présenterait même des bénéfices ! Mais alors Jamy, comment expliquer cela?
Pourquoi la rééducation avec douleur tolérée est efficace ?
D’abord, l’hypothèse de la charge. Pour atteindre ce fameux 5/10, les patients sont obligés de charger plus que pour un exercice non douloureux. La réponse du tissu et de l’organisme se ferait en fonction de cette dose, qui serait significativement supérieure par rapport à un 0/10. Plus de charge, plus d’adaptation du tissu, moins de symptômes : logique.
Ensuite, l’hypothèse de la modulation de la douleur. La douleur est un phénomène complexe que je ne m’aventurerai pas à expliquer, j’entends d’ici les puristes derrière leur PC attendant le moindre faux pas pour m’écarteler sur la place publique et je tiens à ma vie. Toujours est-il qu’interdire à tout prix aux patients d’avoir mal revient à rendre la situation plus catastrophique qu’elle ne l’est, la douleur devenant une source d’angoisse à éviter coûte que coûte car la situation deviendrait encore pire. Si le discours change et que tu fais de la douleur une alliée, alors le patient douloureux chronique (ou pas d’ailleurs) peut mieux vivre sa rééducation sans crainte de léser un tissu (ou pire, de se démettre un nerf ou de se déplacer une côte…). Cela engendrera moins de peur ou d’angoisse, moins de kinésiophobie et donc plus de mouvement, et tout le tralala de bienfaits qui vont avec.
Conclusion
Rassurons-nous et rassurons nos patients. Non, la douleur n’est pas fatale. Oui, la douleur peut nous aider. Considérons-la non plus comme la coupable à éliminer, mais comme un acolyte puissant. Oublions la peur, arrêtons de la transmettre. Parce que comme disait mon Papa une fois que j’avais mis mes chaussons, “la peur n’évite pas le danger”.
Allez, à tato.
Bibliographie
Hickey JT, Timmins RG, Maniar N, Rio E, Hickey PF, Pitcher CA, Williams MD, Opar DA. Pain-Free Versus Pain-Threshold Rehabilitation Following Acute Hamstring Strain Injury: A Randomized Controlled Trial. J Orthop Sports Phys Ther. 2020 Feb;50(2):91-103. doi: 10.2519/jospt.2020.8895. PMID: 32005093.
Holmgren T, Hallgren HB, Oberg B, Adolfsson L, Johansson K. Effect of specific exercise strategy on need for surgery in patients with subacromial impingement syndrome: randomised controlled study. Br J Sports Med. 2014 Oct;48(19):1456-7. doi: 10.1136/bjsports-2014-e787rep. PMID: 25213604.
Littlewood C, Malliaras P, Chance-Larsen K. Therapeutic exercise for rotator cuff tendinopathy: a systematic review of contextual factors and prescription parameters. Int J Rehabil Res. 2015 Jun;38(2):95-106. doi: 10.1097/MRR.0000000000000113. PMID: 25715230.
Smith BE, Hendrick P, Smith TO, Bateman M, Moffatt F, Rathleff MS, Selfe J, Logan P. Should exercises be painful in the management of chronic musculoskeletal pain? A systematic review and meta-analysis. Br J Sports Med. 2017 Dec;51(23):1679-1687. doi: 10.1136/bjsports-2016-097383. Epub 2017 Jun 8. PMID: 28596288; PMCID: PMC5739826.
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